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Chroniques
Gustav Mahler Jugendorchester, Ingo Metzmacher
Béla Bartók, George Gershwin, Maurice Ravel, Arnold Schönberg
Après sa tournée de printemps, sous la direction de Lorenzo Viotti – programmes Stravinsky, Tchaïkovski, Rachmaninov et Ravel, ou Messiaen, Stravinsky et Honegger – puis de Daniel Harding avec le baryton Christian Gerhaher [lire notre chronique du 25 mars 2017], les talents du Gustav Mahler Jugendorchester inauguraient hier soir, au Teatro Comunale de Bolzano, un nouveau menu qu’ils donnent une seconde fois aujourd’hui, dans la lumière bleutée de la Felsenreitschule. Comme souvent, c’est sous le signe de la modernité qu’il est placé.
Le 8 avril 1930, Hans Rosbaud dirigeait à Francfort la création radiophonique de Begleitungsmusik zu einer Lichtspielscene Op.34 d’Arnold Schönberg, pièce d’une dizaine de minutes qu’il avait commencée d’écrire l’année précédente et qu’il imaginait pouvoir servir le septième art. Drohende Gefahr, Angst, Katastrophe sont les trois idées de cet opus expressionniste. Sous la battue d’Ingo Metzmacher s’impose d’emblée la précision des pizz’. La ciselure et la puissance de l’interprétation soulignent l’âpreté de ton, la rondeur de la sonorité et l’austérité du climat général.
Exilé en Californie avec l’avènement du nazisme, le Viennois n’a pas caché son admiration pour son cadet étasunien, George Gershwin, avec lequel il lui arriva d’échanger quelques balles de tennis. Il publia d’ailleurs un texte d’hommage après le décès brutal du compositeur, en juillet 1937. Les troubles cérébraux mal diagnostiqués du musicien s’étaient manifestés dès le début de l’année, si bien qu’en février, des trous de mémoire avaient perturbé son jeu lors d’une exécution à San Francisco de son Concerto en fa de 1925.
Jean-Yves Thibaudet gagne la scène pour donner cette œuvre qu’ouvrent des timbales presque cubaines. Il répond par un solo tendre, d’une sonorité moins uniformément claire que celle généralement admise pour ce répertoire. Le travail de la dynamique est d’une sensibilité positivement précieuse, élevant l’interprétation dans le danger de l’inquiétude et de la mélancolie, absent du concerto précédent – la fameuse Rhapsody in blue. Sans complaisance avec le goût en cours, l’ orchestration met à distance le glamour caractéristique, et si, bien sûr, danse et blues traversent l’Allegro, encore est-ce sans sucre ni crème, tournant plutôt l’oreille vers le souvenir romantique russe – ainsi ferait Rachmaninov un an plus tard, lorsqu’il put enfin écrire à nouveau (entre 1917 et 1926, aucune note sous sa plume) –, cette Russie de ses parents qui, à la fin du XIXe siècle, avaient préféré fuir les pogroms. Appel du cor solo, mélodie de trompette contrepointée par un duo de clarinettes, ainsi débute l’Adagio, dans un alliage signé où le hautbois mêle au jazz une inflexion puccinienne. Le piano fait une entrée andante, à peine primesautière, ponctuée par la nostalgie parfumée d’une phrase de violon où l’on savoure le style d’Hildegard Niebuhr. Après une brève citation de l’introduction, le soliste renaît, en écho ornemental de la trompette, dans un pont entre deux passages d’orchestre, avant de prendre le mouvement à bras le corps. Vigoureux, l’Allegro agitato renoue avec la virtuosité lisztienne. Sans accuser trop les contrastes, Metzmacher et Thibaudet en révèlent le bondissant exotisme latino, ainsi que l’imitation de l’accordéon des fêtes du vieux monde. Plus spectaculaire, cet ultime épisode infiltre cependant l’anxiété du premier dans une phrase emphatique, juste avant son final un brin too much. Pour remercier un public franchement conquis, le pianiste offre Pavane pour une infante défuntede Maurice Ravel où il conjugue rigueur souple (mais non funèbre) et subtil éventail de nuances.
Le second chapitre de la soirée se concentre sur l’orchestre, avec deux pages venues du ballet. En 1919, Béla Bartók termine A csodálatos mandarin Op.19 sur un argument de Menyhért Lengyel. Après sa création à Cologne en 1926, il le contracte en une suite de concert d’une vingtaine de minutes. Bien qu’admirablement servie par les jeunes instrumentistes (notamment les bois), cette version ne possède pas l’énergie brute montée du sol et gérée d’un esprit libre à laquelle nous habitua Pierre Boulez – il nous manque… Quelque chose ne prend pas dans ce qui paraît un assemblage de fragments, avec des moments qui parfois saturent. En revanche, l’exécution de la Suite n°2 de Daphnis et Chloé (1912) de Ravel est un enchantement ! Cen’est pas à proprement parler français (l’idée assez discutable d’une clarté que nous serions les seuls à détenir…), mais d’une suavité personnelle et généreuse qui enveloppe irrésistiblement l’écoute. Le gazouillis des flûtes et la souplesse des cordes magnifient Lever du jour jusqu’au lyrisme le plus prodigue, ramendant la mémoire dans sa sensualité. Une espièglerie discrète caresse Pantomime, quand la Danse générale déploie magnifiquement ses tutti.
BB